Notre Dame de Paris - Saint Jacques de Compostelle : 1925km en fauteuil roulant

mardi 9 mai 2017

Mardi 9 Mai 2017 - Jour 23, étape 14

De 7 à 77 ans



Départ : Maupertuis (Coulombiers)

Arrivée : Melle (chez Jean-Jacques)

Etape intermédiaire : Chenay (Restaurant des Trois Pigeons)

Distance parcourue : 10,1 km

Podomètre : 11 756 pas

Cumul : 301 887 pas / 254 km

Météo : Sun sun sun, wohoho, sun sun sun (il doit bien y avoir une chanson correspondante, une forte récompense pour qui trouvera laquelle. Et si elle n'existe pas, eh bien, inventez-la ! comme disait JB Poq')
Rushes :  133,4 Go

Ampoules : le grand come back (mountain), à base de mélange des générations : les récentes s'ajoutent aux anciennes qui se sentent une nouvelle jeunesse, même sur la corne des paumes d'Alain et de mes talons, d'autres s'en reforment. Une spéciale dédicace pour mon pied gauche qui présente la particularité appétissante de posséder plusieurs cloques par orteil. Pourtant non, ils ne sont pas si gros que ça mes orteils, je vous jure Thérèse, mais ils sont très accueillants : au dessus, au dessous, tout au bout, sous les ongles et sur les côtés. Une sorte de strike version cutanée. Mais bon, on n'a pas trop le temps de s'y apitoyer. Allez, bon appétit bien sur.
 

Chaque matin je me lève en me demandant ce que je vais bien pouvoir raconter le soir. Et chaque soir je me demande comment faire tenir de manière relativement cohérente tout ce que l'on a à vous dire de ce qui nous est arrivé depuis le matin. Cette journée ne fera pas exception.
 





















Nous quittons le merveilleux Gîte du 7, Maupertuis avec l'objectif d'arriver à Melle pour la nuit, car nous avons une chambre, un repas et un journaliste qui nous y attendent. En raison du retard pris dimanche, nous devions avoir fait une étape supplémentaire pour arriver ce soir, mais ces rendez-vous ne sont plus déplaçables et "quelque chose" nous dit de maintenir ce but malgré les 43 kilomètres qui nous en séparent. Ce même quelque chose est persuadé de trouver une solution en route, bien que tels Socrate, la seule chose que nous sachions est que nous ne savons rien du tout du "comment". Nous sommes déçus par les pistes GPS qui ne nous indiquent que des chemins impraticables en fauteuil malgré la configuration "cyclistes" demandée, et nous nous retrouvons sur une départementale dont l'aspect sécurisant reste relativement précaire. Nous n'avons pas encore eu le temps de décider de notre première halte que s'arrête sur le bas côté un véhicule, à quelques mètres devant nous. "T'as fait un signe pour du stop ?" me demande Alain... "Euh non, on vient de partir, je me disais qu'on attendait un peu quand même." Mais attendre ne semble pas faire des habitudes du petit bonhomme qui vient à notre rencontre, un carnet à la main : "Un ami vous a vu passer à Coulombiers, et il m'a dit Claude, si tu veux faire un article pour le journal, je crois que tu tiens un sujet, il y a un monsieur en fauteuil roulant sur la route et une fille qui le pousse, ils ont une coquille, je crois que ce sont des pèlerins. Alors je suis venu tout de suite. Vous allez vraiment à Saint Jacques ?". Alain confirme et nous présente, Claude commence à prendre des notes lorsque je suis étrangement saisie du flash insolite qu'une interview en pleine voie rapide est un facteur de sécurité qui me semble très relatif. Nous demandons donc à Claude s'il serait d'accord de nous conduire au prochain village pour que nous puissions détailler le projet autours d'un café. "Je ne veux pas vous retarder mais si je peux rendre service, ce serait avec plaisir." Plaisir plus que partagé, notre étape prenant alors un sens aussi kilométriquement réaliste que tout-le-reste-ment insolite. Nous faisons halte à Chenay, au restaurant "Les Trois Pigeons", que nous en profitons pour remercier ici et féliciter de la qualité de leur service et de leur humanité. L'endroit est propre, modeste et chaleureux, l'accueil souriant et sincère, délicat, bienveillant. Une profonde humanité que nous n'aurions pu prévoir et qui nous émeut encore ce soir. Nous ne pouvons que vous recommander l'endroit : http://www.hotel-restaurant-troispigeons.fr/ !
 
 
 
















 

 
 
 
 
Claude est un monsieur très touchant qui vient de dépasser la soixante-dizaine et que l'histoire d'Alain semble chambouler. Très investi par ailleurs dans le monde associatif, son humanité enveloppante nous attendrit énormément. Il nous pose quelques questions puis tient à nous offrir le repas sur place avant de repartir pour de nouvelles aventures journalistiques. Nous déjeunons auprès d'un autre pèlerin déjà sur place, le lumineux et sympathique Laurik, dont l'énergie répond en tous points à la notre. De très jolis et longs échanges sur la spiritualité comme le handicap sont au chaud dans mes cartes mémoires, et nous sommes persuadés de nous revoir là où le trajet le décidera. Oui, pour ceux qui en doutaient encore, l'aspect mystique de ce trajet n'est plus tellement une question que l'on se pose en ces termes. Il y a des choses qui sont, d'autres que l'on sent, beaucoup que l'on réceptionne du fait de cet état d'esprit surement. Nous y consacrerons des articles spécifiques dès que le moment sera venu. Vos paupières sont lourdes. A trois je reprendrai ma narration...
 

















 

 Sept, Sept, Trois. Je reprends donc ma narration comme nous reprenons la route (et bim la figure de style), et c'est sous un Soleil revigorant bien que venteux que nous retrouvons notre départementale préférée. Pensée positive oblige, au moins il y a de l'herbe sur les côtés, ce qui économise un peu le renvoi dans les genoux, les pas sur le bitume étant très agressifs pour les articulations mais bien entendu non négociables pour l'accomplissement du trajet en fauteuil. Les photos termineront de vous prouver les effets calamiteux de cet état de fait sur mon style vestimentaire, couvre chef compris (oui bah ça va, on trouve ses excuses où on peut. Et puis il y a 7 étapes avant d'arriver à la Lumière alchimique, il faut bien commencer quelque part... ).
 

 



 


 

Après un moment de réflexion sur nos vies que préservent gentiment les automobilistes compréhensifs, puis sur la mort que provoquerait la mésaction d'un seul d'entre eux, anéantissant ainsi les efforts de mille autres, nous en concluons que ce ratio inégal, ce n'est pas juste. "Mais la vie de celui qui ferait cela deviendrait encore plus un enfer. Nous au moins ce sera brutal, on ne souffrira pas. Et si nous devons être les instruments qui permettent à cette personne de s'en rendre compte, c'est peut-être le chemin." remarque Alain. Surement, oui, mais il se trouve qu'après délibération avec moi même, il a été décrété par l'ensemble des votants que ce n'est pas du tout, mais alors pas du tout le mien. Au cas où le chemin m'entende, je le lui répète : je compte vivre. Et je préfère qu'Alain aussi pendant qu'on y est. Voilà, comme ça c'est dit, merci de nous utiliser comme instrument d'autre chose et de METTRE DES PISTES CYCLABLES LE LONG DES ROUTES DE FRANCE !! Non je ne crie pas, je n'aime juste pas les gilets jaunes, ni la mort par accident. Je crois que c'est assez humain, c'est vrai quoi après tout, ce n'est pas joli au teint ce jaune criard.

Nous affrontons donc le combo gagnant départementale dangereuse option côte à 80 % (oui bon, j'ai un peu de sang sudiste, mais j'ai surtout perdu mes bras dans ce dénivelé). Nous en sommes encore tout essoufflés lorsqu'un véhicule s'arrête à quelques mètres devant nous. Tiens, j'ai déjà entendu ça quelque part. "Alain, Alice, c'est beaucoup trop dangereux ici, on termine en voiture jusqu'à la maison. ça se démonte votre barda ?" Euh, oui, merci, bien que décidément, le calibrage des véhicules européens ait été conçus pour y entreposer nos bagages et le fauteuil au millimètre près, omettant simplement que le truc avec des cheveux qui prend plein de photos n'a pas trop envie de courir derrière. Enfin ça fait les abdos tout de même, de quoi se plaint-on ?
 






 

Notre chauffeur s'appelle Jean-Jacques et c'est également notre hôte de ce soir. Il parcourait la route car il tient également un gîte à Saint Sauvant, l'étape entre Coulombiers et Melle que nous avons donc sauté, et nous attendait même hier soir là-bas pour l'étape initialement prévue. Je suis effondrée de honte d'avoir confondu les numéros lorsque j'ai cru prévenir "tout le monde" de notre changement de programme dimanche entre mes deux trains. Heureusement pour mon Karma, Jean-Jacques me "pardonne mille fois. Non mille c'est trop, je ne peux pas faire plus que Jésus. Je te pardonne comme Lui, 7 fois 77." Reste à savoir si l'on peut excuser mille fois une personne plutôt qu'une fois mille personnes... Prenez donc un chewing-gum, Emile, et comptez sur vos doigts.

 
Compter sur ses doigts, c'est comme ça que l'on apprend, quand on est pas très grand. Moi je crois bien que c'était pas loin avant mes 7 ans que ma Maîtresse de CP m'y a aidé. Ma Maîtresse de CP, elle s'appelle Martine et elle est originaire de Melle. C'est elle qui m'a appris à lire et écrire, pêle-mêle, à compter les pic-billes, à m'appliquer sur mes cahiers, un peu à nager aussi alors que j'ai lutté toute l'année pour "pas aller au moyen bain", et à qui j'essayais de cacher que je ne buvais pas mon fluor le matin des interventions de prévention de soins dentaires. Martine, c'est une dame pour qui j'ai toujours beaucoup d'affection et que je n'avais pas encore eu l'occasion de remercier, alors qu'elle s'est démenée pour contacter la radio locale qui est venue nous interviewer à notre arrivée au gîte. Alors voilà, Alain se joint à moi pour te remercier ici, de ta présence et de ton aide, de ton soutien que nous lisons toujours avec joie, et de cette jolie journée qui s'est si bien déroulée quelque part grâce à toi. ça fait longtemps que je ne t'ai pas vue, mais aujourd'hui, tu étais ici dans nos coeurs. Et c'était très fort.

Grâce aux enregistrements de M. Yann Brillaud, vous pourrez donc écouter nos voix dès demain, mercredi 10 mai à 12h30 et à 18h, puis jeudi 11 à 7h45, sur D4B, la radio de Melle. Le replay sera disponible pendant une dizaine de jours, dès demain 18h30. On ne sait déjà plus ce qu'on a raconté, mais c'est une merveilleuse chance d'avoir eu cette opportunité.



 

Abyssus abyssum invocat, et voici Jean-Jacques, qui, inspiré de cette intervention journalistique, nous met en contact avec Didier Darrigrand, photographe indépendant et correspondant pour "La Nouvelle République". Il ne nous manquerait décidément plus que Tintin pour compléter notre panel de reporters croisés ce jour. Et puis on retomberait ainsi dans les âges de lecture concernés.








En parlant d'âges, c'est pour l'instant Laurik qui est le plus proche de ma génération dans l'intégralité des pèlerins croisés. D'après les connaisseurs, c'est plutôt en Espagne que se rejoignent "les jeunes du monde entier" qui font ce chemin. On a hâte, mes 26 ans et moi, même si on a croisé que des gens extraordinaires pour l'instant, et que c'est très beau d'apprendre autant de toutes ces vies bien remplies. En France, la grande majorité des pèlerins sont retraités....mais viennent parfois déjà de loin, à l'image de Marek, polonais de 64 ans qui arrive de Gdansk, à raison de parfois 60 km par jour. Il en aurait fait 10 de plus que ça aurait mieux sonné dans mon article. Mais ça reste plutôt remarquable, cher monsieur ! Une force de la Nature dont nous ne percevons pas toutes les nuances linguistiques malgré un mélodieux moment de bénédicité. Improbable, ce trajet, on vous a dit.

Plus locale, nous dinons également avec la douce et discrète Elisabeth, qui habite la région et dont c'est la première étape vers Saint Jacques.
 




















 
 
 





 
 
 
 

 

 
 


 

 
 
























 
 

Saint Jacques. Que d'énergies catalyses-tu. Celles notamment de Serge et de Jean-Paul, amis, voisins et collègues d'associations jacquaires de Jean-Jacques, qui nous font le plaisir et l'honneur de passer la fin d'après-midi au soleil en notre compagnie. Serge nous partage de jolis récits de chemin qui l'émeuvent encore sous son chapeau, tandis que le débonnaire Jean-Paul nous fascine de ces recherches et analyses historiques. C'est l'angle par lequel il étudie le chemin, en puisant dans les archives les allusions à l'existence et au tracé de la fameuse route. Avec sa barbe attendrissante et sa bonhommie rieuse, il a comme un air de père Noël. Lorsqu'il m'offre en plus une Sportelle locale qu'il est allé taper dans le métal spécialement pour moi, je crois que j'ai à nouveau 7 ans devant ce cadeau qui illumine mon coeur de petite fille. Merci pour ce joli geste.
 
 

Il y aurait encore tant à raconter, de détails et de longs discours à retranscrire. Mais il est déjà tard et nous aurons d'autres occasions. De tous les récits et partages que nous avons fait aujourd'hui, il y a malgré tout deux pendants qui ressortent de ces hétéroclites tracés de vie qui nous sont offerts. Les obstacles et la joie de les franchir. Les difficultés et la chaleur du réconfort humain. La maladie, et bien souvent l'Amour. Avec laquelle on roule, après lequel on court, on court, au delà de 7 à 77 ans.


7 commentaires:

  1. Petite Alice a bien grandi en beauté, bonté et sagesse. Je suis fière et émue de la lire.
    Martine sa maîtresse de CP
    Je vous embrasse tous les deux

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  2. Que de parcours parcouru vous avez avance dans votre projet et il se met en place continue comme ça bisou

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  3. Un de tes plus beaux articles ma chérie, drôle et émouvant! Des figures de style et des références pour ton père, ton frère et d'autres et un bel hommage à notre Martine, et le retour des ampoules si chères à mes facétieux élèves!
    Bisous à tous
    Sophie/Maman/Maitresse

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  4. Et une chanson qui irait pour le concours sun, sun, sun même si je comprends pas tout ce qu'il dit!
    https://youtu.be/WqwcjexDvBQ
    Sophie

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  5. Belle leçon de courage je suis de tout Cœur avec vous

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  6. Plus tu écris, plus je deviens accro de vos rencontres, ou Alice & Alain au Pays des Merveilles ! Courage, courage, ça roule toujours.

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    1. Viens nous rejoindre faire ces rencontres avec nous ! :) plein de bisous !

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